Les Effets - les asservis


La notion d'effet est variée...
Elle indique souvent un moment remarquable, un moment particulier. Certains spectacles sont construits sur les Effets. C'est le cas de beaucoup de lumières de concerts qui utilisent des projecteurs asservis dont on voit les faisceaux. La lumière est alors construite en volume dans de la fumée et sert de décor lumineux.
Cette lumière-décor est souvent hélas une lumière qui n'éclaire pas et ce qui est éclairé l'est en général assez mal ; il est effectivement parfois difficile de concilier construction en volume et qualité de la mise en lumière.
C'est pourtant ce que j'ai tenté de faire avec la production Brésilienne "Bale de Rua", qui utilise principalement des projecteurs asservis pour la construction des différents tableaux.




En 2017 pour le spectacle "Le Chant des signes" de Joël Dragutin, 8 asservis à led sont utilisés comme des projecteurs de poursuite automatisés pour suivre les comédiens en direct dans leurs déplacements.

Ils créent un focus particulier sur chaque interprète, et parfois bougent à vue pour passer de l'un à l'autre et évoquer le "plateau tv" de ce spectacle qui met en scène des personnalités politiques et en dénonce le coté "show biz" de leur mise en scène.



Au théâtre on parle d'effet pour désigner quelque chose qui se remarque. Le spectacle est un tout et tous les ingrédients qui le constituent en font la saveur. L'art du dosage et la "prise de parole" entre les différents constituants créent son équilibre. Si un moment manque de saveur, il est possible de l'épicer avec un peu de lumière... Qui dit projecteurs asservis ne dit pas forcément effet, ces projecteurs ont la faculté d'être pilotés à distance entre autres en position, faisceau et couleur. C'est ce que j'ai utilisé pour le spectacle "Canto General" à Nouméa ou pour le son et lumière du château de Saint Germain en Laye.


La lumière ludique et les leds

Une de mes premières utilisations de leds pour éclairer fût pour "Prométhée 2071" de Jacques Kraemer en 2010, sous formes de rampes Full RGB placées en latéral. Cela pour répondre aux besoins de changements de teintes et aux contraintes d'installation et de réglages à Avignon.


Cette utilisation a été poussée pour "JAAPP !" de Marion Maret où les rampes de leds accompagnent l'univers Japonisant vidéo. Pour ce spectacle, la vidéo est projetée en rétro, la seule lumière est donc produite par ces rampes de leds dont les teintes sont largement exploitées.


Quand la lumière se mélange à la scénographie ou au jeu des comédiens, elle peut devenir ludique. Dans "Déshabillez Mots 2" l'espace est composé de lampes d'architecte (dont la couleur peut changer) sur des pieds de micro équipés de rubans de leds animées. Cela permet de rythmer les changements de plateau et de composer des tableaux variés.


Pour le spectacle "Nous Tziganes", un dispositif HF similaire à celui que j'ai créé pour "Déshabillez mots 2" permet le contrôle des éléments lumineux à leds manipulés par les comédiens. Dans ce spectacle, nous avions la volonté de faire en sorte que tout soit fait à vue et que toute la lumière vienne du jeu des comédiens.
Pas d'esthétisme théâtral : une volonté de jouer brut. La lumière est d'abord apportée par une comédienne puis un phare de voiture s'allume et donne la seule et unique direction de lumière latérale (qui est accompagnée par des projecteurs pars). Les interprètes installent une rampe, puis des lampions sans fils, qui s'allumeront magiquement depuis la régie...


Pour le spectacle "Elle Émoi", un dispositif de plus de 16000 leds crée la scénographie et dessine un espace mental blanc violacé. Pour accompagner cette teinte assez spécifique, une rampe de tubes fluorescents vient donner le contrepoint.
J'ai travaillé sur un système de graduation en 16bits, indépendante pour chaque fil, pour permettre un allumage extrêmement progressif et des jeux de séquençage de l'espace.


Pour l'Opéra "la Princesse légère", (opéra de Lille, decembre 2017) des datastripleds, sur batterie, sont pilotés à distance en wifi pour créer des miroitements de reflets d'eau et des goutes de pluie sur des batons manipulés par les interprètes et sur des servantes placées de part et d'autre du plateau.

100 pixels RGB par rubans de led, 7 univers dmx sont utilisés pour pouvoir piloter chaque led séparément et obtenir des effets différents sur chaque ruban. Un logiciel de mapping vidéo à été utilisé pour gérer les effets.


La lumière vidéo


Un vidéoprojecteur émet de la lumière et produit de l'image. La surface éclairée devient alors complètement dynamique. Des bémols : la grille de la matrice LCD visible qui pixelise ou les aberrations chromatiques et les moirages d'un DLP, un contraste pas toujours convaincant (pas de vrais noirs), une lumière froide difficile à réchauffer, une palette de teintes relativement limitée, le bruit produit par l'appareil et son coût... Mais malgré tout cela, la vidéo offre des possibilités de lumière très intéressantes.
Avant la vidéo, nous utilisions des gobos, plaques de métal ou de verre traité, placés dans des projecteurs à découpe, pour permettre la projection de formes et de motifs. La vidéo permet cela avec une possibilité d'animation incomparable.


J'ai approché la vidéo en 2001 pour l'utiliser comme source de lumière sur "l’Échange" de Claudel.
La vidéo était travaillée pour son résultat visible sur les murs tout en étant considérée comme source de lumière servant à éclairer les interprètes et à structurer l'espace avec la dynamique que permet l'image.


Dans "Agatha" mis en scène par Jacques Kraemer, lumière et lumière-vidéo sont intimement mélangées. Il n'y a d'ailleurs quasiment pas de projecteurs.
La projection vidéo est frontale, elle compose l'espace et met en lumière les comédiens dans des reflets d'eau nocturne.


Dans "Pouss Cailloux" même principe encore plus radical : un vidéoprojecteur et deux rampes de leds placées en latéral. C'est la vidéo qui construit les images sur le fond de scène et au sol et qui éclaire l'interprète. Les leds ont des teintes qui s'harmonisent très bien avec la vidéo et sont utilisées ici simplement pour redonner du volume au comédien. Certaines parties de l'image (comme ci-contre) sont travaillées avec des zones (masques) qui permettent d'atténuer l'image sur le visage, de mettre en valeur le comédien.

Dans "Ex'act" de Stéphanie Aubin, une partition de lumière-vidéo a été écrite en complet rapport avec la chorégraphie. Il s'agit alors de lumière projetée et animée, qui structure et rythme un espace dans lequel les corps évoluent et dansent.


L'écriture de la lumière

En spectacle, on parle de conduite lumière pour désigner la succession des états lumineux. S'il y a quelques décénies encore la commande de la lumière était manuelle, le système de gestion (le jeu d'orgue) est aujourd'hui informatisé. Cela permet d'enregistrer chaque état lumineux, chaque tableau, et de gérer la transition temporisée ou manuelle entre chacun d'eux. On gagne alors en précision et en finesse de travail, au détriment d'un accès direct et rapide sur chaque source à contrôler. Le nombre grandissant de paramètres pour les projecteurs asservis ou les leds empêche toute commande 100% manuelle. L'adaptation de notre oeil à des intensités différentes est très grande et demande un temps plus ou moins long. La persistence rétinienne et le fait que notre oeil s'habitue à une couleur pour finir par la considérer comme blanche sont des phénomènes déterminents pour la composition des états lumineux dans le temps. Ils ne sont pas interchangeables.


Pour l'expérience, nous avions fait, l'abbaye Royale de Celles sur Belle (79), des ateliers, dont les chambres des complémentaires : le public était placé 5mn dans une pièce blanche éclairée en magenta (bleu+rouge, deux primaires en lumière). A l'issue de ces 5mn, le public sortant redécouvrait le couloir blanc qui à ses yeux, était devenu... vert ! (la 3e primaire manquante, ce qui ne fonctionne évidemment pas en photo).

Pour écrire la lumière d'un spectacle, le travail commence avec le metteur en scène (ou le chorégraphe) et le scénographe. Dans certains cas (opéras) tout doit être prêt avant le début des répétitions ; pas de place à l'improvisation.
Si j'utilise des modélisations 3D pour la scénographie et, bien qu'il existe des logiciels permettant de simuler la lumière, c'est avant tout l'expérience et l'oeil qui guident la création de la lumière.
S'il y un texte, le travail s'organise à partir de celui-ci pour établir des codes dramaturgiques et scéniques communs. C'est là que l'esthétique d'un spectacle commence à naître, avant que les choses puissent s'allumer. Une grande capacité de prévisualisation et d'anticipation est requise.
L'échange entre les protagonistes peut alors faire appel à des images pour s'assurer de la bonne compréhension mutuelle. La position des interprètes dans l'espace et les rapports à éclairer entre eux vont orienter, avec la scénographie, les choix de construction de la lumière, des axes et entrées de lumière. Les moments forts vont donner des points d'architecture pour l'écriture temporelle et construire le parcours dramaturgique de la conduite lumière. Une fois tous ces paramètres synthétisés, la cuisine consiste à étudier le parc de matériel nécessaire et à mettre sur plan les différents appareils en prenant en compte leur encombrement, leur poids, leur puissance électrique et la possibilité de les atteindre pour permettre leur réglage. Les paramètres de temps de montage et de personnel sont également déterminants pour la faisabilité d'un projet.
Sur le terrain, d'abord la phase de montage, puis le câblage ; vient ensuite le moment des réglages où dans l'obscurité, on allume un par un chaque projecteur pour l'orienter et le régler vers ce qu'il est censé éclairer. Dans le cas de projecteurs asservis, les réglages de positions se font à distance et peuvent être préparés de manière virtuelle avant le montage. Il faut alors corriger les positions. Ce n'est qu'une fois tout le dispositif technique opérationnel que la conduite lumière peut être construite (avec l'usage d'asservis la conduite peut être préparée en amont de manière virtuelle ). Suivant le temps disponible, des bases d'états lumineux peuvent être préparés, mais c'est avec les interprètes (ou leur doublures) que l'on peut vraiment se rendre compte des dosages appropriés de la lumière.
Les outils pour gérer la lumière sont nombreux, ceux qui permettent le travail et la restitution de la vidéo pour le spectacle vivant le sont moins. C'est pour cette raison que j'ai développé des outils informatiques pour la gestion de la vidéo scénique (voir les pages du labo).


Concluons...


Chaque spectacle a sa spécificité, son esthétique propre. En tant qu'éclairagiste, j'accompagne chaque projet en essayant de trouver ce qui va lui être juste, et je n'ai pas UNE SEULE esthétique à défendre, ne me positionnant pas comme plasticien - Il en va d'ailleurs de même pour mon approche de la scénographie -.
Je déteste reproduire ce que j'ai déja fait. D'où la diversité des projets sur lesquels j'ai travaillé. Il y a des fidélités de longue date et des histoires qui ne durent pas. C'est ce qui fait la richesse de notre métier.