Vérisme et naturalisme

Hors du sillage wagnérien et des célébrations de Bayreuth, on vit se dessiner, au tournant du siècle, une tendance à plus de réalisme dans la mise en scène lyrique, sans doute sous l'influence des travaux d'Antoine (1859-1943) et de Stanilavski (1863-1938) pour le théâtre dramatique. À la recherche de la vérité " comme dans l'histoire " du grand opéra, allait succéder la recherche de la vérité " comme dans la vie ". Mais le naturalisme ne pouvait vraiment trouver son application que dans les drames lyriques de Puccini et ceux des véristes italiens, ou encore dans un " roman musical " comme la Louise de Charpentier. Pour le reste, c'est-à-dire le " répertoire " et les ouvrages nouveaux qui ne relevaient pas de l'esthétique vériste, on se contenta d'aménager ­ donc de perpétuer ­ les traditions scénographiques du XIXe siècle (ainsi fit Albert Carré (1852-1938, administrateur de la comédie Française, comédien metteur en scène) pour la création de Pelléas et Mélisande (Opéra comique, 1902, dir André messager)).

Et les conditions d'exploitation des théâtres lyriques étaient telles, entre les deux guerres, que, dans la plupart des cas, la perpétuation l'emportait sur l'aménagement. Conséquence de la plus grande rapidité des moyens de transport, rançon de la crise économique, les troupes attachées en permanence aux théâtres disparurent presque partout : on engageait des vedettes itinérantes qui devaient pouvoir s'intégrer, après quelques « raccords », dans une production conforme aux traditions dont le « metteur en scène » (en général, un chanteur à la retraite) était le dépositaire. Dans les théâtres de province, un fonds commun de décors, dont on combinait différemment les éléments selon les besoins, servait pour tous les opéras du répertoire, et les chanteurs invités fournissaient leurs costumes (ils possédaient un « vestiaire »). L'opéra, encore une fois, cessa d'être un spectacle. La masse du public se détourna d'un genre qui se mourait doucement devant une poignée d'amateurs qui venaient comparer les mérites des différentes distributions d'un même ouvrage.

Appia, Craig et les autres

Ce fut de Bayreuth que revint la lumière, lorsque, en 1951, Wieland Wagner (1917-1966, petit fils de Richard Wagner, 1813-1883) prit en main les destinées du festival ressuscité et renouvela totalement l'esthétique qui, jusque-là, avait marqué la représentation des opéras de son grand-père. La révolution scénographique de Wieland Wagner a été rendue possible par la réflexion théorique et les réalisations isolées de quelques précurseurs. En premier lieu, celles du Genevois Adolphe Appia (1862-1928). À l'âge de vingt ans, Appia avait assisté à Bayreuth à une représentation de Parsifal.

La déception qu'il avait éprouvée devant la réalisation scénique fut le point de départ d'une réflexion exprimée six ans plus tard dans son livre la Musique et la mise en scène (1888). Pour Appia, la mise en scène est un « moyen d'expression » : son but n'est pas l'illusion, aussi doit-on refuser l'archéologisme et le trompe-l'œil. « La mise en scène, dit Appia, doit se construire à partir de la seule réalité du théâtre : le corps humain. » La musique, qui commande à tous les éléments du spectacle, impose à l'acteur ses évolutions, et ces évolutions, à leur tour, conditionnent l'espace scénique. La lumière, considérée comme un élément expressif et « actif », viendra vivifier à la fois le corps de l'acteur et l'espace scénique ­ ce que ne peut faire la peinture, qui, par sa surcharge décorative, détourne à son profit l'attention du spectateur. C'est ainsi qu'Appia établit sa fameuse hiérarchie : « acteur, espace (disposition de la scène), lumière, peinture ». Pour décupler le pouvoir expressif du corps de l'acteur, il préconise une « architecturation » de l'espace grâce à une série de praticables (escaliers, plans inclinés, pans de mur) qui seront autant de points d'appui et d'obstacles à contourner.

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   Appia n'a guère eu l'occasion de mettre ses théories en pratique. Éconduit par Cosima Wagner, il a cependant monté, en 1923, un Tristan mal accueilli à la Scala de Milan. Pour l'institut Jaq_ues-Dalcroze, à Hellereau, il a créé des « espaces rythmiques » " destinés à la mise en valeur du corps humain sous les ordres de la musique » et mis en scène l'Orphée de Gluck.
   Vers la même époque, l'Anglais Edward Gordon Craig (1872-1966) émettait des théories assez voisines. Ennemi du naturalisme aussi bien dans le jeu des acteurs que dans les décors et les costumes, il recommandait la recherche d'un symbolisme suggestif et d'une « convention noble ». Il a lui-même mis en scène des opéras de Haendel et de Purcell.
   Des tentatives éparses eurent lieu, avant la Seconde Guerre mondiale, pour tirer les représentations wagnériennes de l'ornière naturaliste. La plus importante fut celle de Gustav Mahler qui, directeur de l'Opéra de Vienne, monta avec le décorateur Alfred Roller Tristan, puis l'Or du Rhin et la Walkyrie, dans un style dépouillé, où la lumière, conformément aux principes d'Appia, avait une fonction dramatique. On peut signaler aussi le Ring mis en scène par Wallerstein à Francfort en 1925. Ces efforts furent arrêtés net par l'avènement du nazisme.

Wieland Wagner et le nouveau Bayreuth

Lorsqu'il rouvrit ses portes en 1951, le festival de Bayreuth se devait de marquer une rupture totale avec le passé. Le changement s'imposait pour des raisons politiques évidentes et aussi pour des motifs économiques (le « miracle allemand » n'avait pas encore eu lieu). Wieland Wagner en fut l'agent et, paradoxalement, en brisant la tradition scénographique imposée par son grand-père, il a parachevé l'œuvre de celui-ci. Il a su établir, en effet, entre l'esthétique musicale et poétique des opéras de Richard Wagner et le nouveau style de leur représentation scénique, une harmonie qui, jusqu'alors, n'existait pas. Se plaçant dans une perspective symboliste et optant, au moins dans ses premières réalisations, pour un dépouillement extrême, Wieland Wagner a respecté la hiérarchie indiquée par Appia : acteur, espace, lumière. Tout est voulu, dans ses scénographies, pour que le spectateur concentre son attention sur l'acteur : la nudité de la scène fermée par le cyclorama (c'est-à-dire ouverte sur l'infini) ; l'organisation de l'espace à partir d'une forme simple et monumentale (dans la Tétralogie, une sorte de galette inclinée qui occupe tout le plateau et donne l'impression de flotter dans l'espace ; dans le Tristan de 1962, un immense monolithe, une pierre plate dressée) ; et surtout les éclairages, qui complètent les gestes du chanteur, sculptent plus profondément ses attitudes, soulignent un moment de tension et dont l'enchaînement constitue une véritable partition lumineuse. Wieland Wagner donnait à la couleur (pas seulement à celle de ses éclairages) un rôle signifiant particulier : c'est pourquoi, dans Tristan, chaque acte avait « sa » teinte (vert glauque pour le 1er, bleu nuit pour le 2e, bleu azur pour le 3e).

À ses acteurs, il imposait un jeu hiératique, inspiré de la tragédie grecque, et une gestuelle réduite, de façon à pouvoir souligner les temps forts par des mouvements plus appuyés effectués au bon moment.
   Entre 1951 et 1966 (année de sa mort), Wieland Wagner a sans cesse repris, remis en chantier, renouvelé ses interprétations scénographiques en fonction de son évolution personnelle et des distributions dont il disposait. Il a mis en scène non seulement tous les opéras importants de son grand-père, y compris Rienzi, mais aussi une dizaine d'ouvrages du répertoire : Carmen, Aïda, Salomé, Fidelio, Wozzeck, etc.



L'ère du metteur en scène roi

Dans les années 50, le retentissement du travail accompli à Bayreuth par Wieland Wagner et le rayonnement d'une Maria Callas, sur qui étaient alors braqués les projecteurs de l'actualité, incitèrent des hommes de théâtre, des cinéastes, des chorégraphes à se tourner vers la scène lyrique. Ainsi commença une « re-théâtralisation » de l'opéra et s'instaura l'ère du metteur en scène roi.
   Ce furent d'abord, en Italie, Luchino Visconti et Franco Zeffirelli, qui réalisèrent notamment plusieurs mises en scène pour Maria Callas (la Traviata et la Somnambule par Visconti, la Tosca et la Norma par Zeffirelli). Sans adopter une approche symboliste, ils abandonnèrent le réalisme archéologique en faveur d'un esthétisme raffiné, s'essayant parfois à des évocations picturales « au second degré » (dans le Duc d'Albe, opéra posthume de Donizetti créé en 1882 et repris au festival de Spolète en 1959, Visconti a cherché à reconstituer le XVIe siècle flamand vu par les décorateurs et les costumiers de la fin du XIXe).
   Les premières années 60 virent s'essayer dans la mise en scène lyrique Jean Vilar (Macbeth à la Scala de Milan), Jean-Louis Barrault (Wozzeck à l'Opéra de Paris) et Maurice Béjart, qui, notamment dans sa Veuve joyeuse de la Monnaie de Bruxelles, introduisait une distanciation brechtienne.
   Entre 1965 et 1975 vont s'imposer en Allemagne Walter Felsenstein, fondateur du Komische Oper de Berlin-Est et Goetz Friedrich, et en Italie Giorgio Strehler et Luca Ronconi. En France, les personnalités dominantes de cette décennie sont Jorge Lavelli (Idoménée à Angers, Faust, Pelléas et Mélisande à Paris, etc.), qui déclare vouloir « mettre en scène la musique », et Patrice Chéreau, à qui est revenu l'honneur de mettre en scène à Bayreuth le Ring du centenaire (1976). À ces noms, il convient d'ajouter celui du scénographe tchèque Josef Svoboda, qui, par la rigueur avec laquelle il architecture l'espace scénique, par son art magique des éclairages, se montre le disciple d'Appia et de Wieland Wagner.
   Ce foisonnement de personnalités se traduit par autant d'approches et de styles. Chacun apporte une esthétique (symboliste, néonaturaliste, etc.) ou sa vision (marxiste, freudienne, etc.) du théâtre lyrique. Certaines attitudes communes se dégagent pourtant :
-    les metteurs en scène d'aujourd'hui aiment « re-situer » l'opéra dans le temps. À l'époque indiquée par le librettiste pour le déroulement de l'action, ils préfèrent souvent celle où l'œuvre a été composée ;
-    dans la direction d'acteurs, ils tendent à attacher plus d'importance à l'expression corporelle qu'à l'interprétation psychologique ;
-    ils font souvent équipe avec le même décorateur (Chéreau avec Peduzzi, Lavelli avec Bignens), et c'est parfois à partir des propositions de ce dernier qu'ils imaginent leur mise en scène ;
 -   ils se livrent, sur les œuvres du répertoire, à un dépoussiérage d'autant plus radical que l'œuvre est censée être plus connue. Soucieux d'offrir une interprétation personnelle, ils effectuent une « relecture » du livret et de la partition ­ une analyse de ses lignes de force, une réinterprétation des situations ­ et se font parfois aider dans cette tâche par un « dramaturge ». Certains voudraient aller plus loin et faire acte de création, ou de re-création, en pratiquant des coupures et des interpolations, en intervertissant les actes, etc. Cela pose le problème de la marge de liberté dont dispose le metteur en scène. La discussion est ancienne. Au début du siècle, Albert Carré affirmait à l'occasion de la création de la Pénélope de Gabriel Fauré : « Le metteur en scène ne peut être que le très humble serviteur de l'auteur. » Tandis que, quelques années plus tard, le directeur du palais Garnier, Jacques Rouché, déclarait : « J'ai toujours réclamé la plus grande liberté pour le metteur en scène. » Que le débat passionne aujourd'hui l'ancien et le nouveau public des salles d'opéra est un signe encourageant pour l'avenir de l'art lyrique.


Les grandes révolutions


Le Naturalisme

La scénographie dans le Naturalisme porte très bien son nom, le but du scénographe consiste à reproduire le plus fidèlement la réalité sur scène. André Antoine, le grand représentant du naturalisme théâtral, désigne par "le quatrième mur" un mur quelconque d'une pièce, qui clôture l'espace : Les acteurs peuvent jouer de dos pour créer aussi l’illusion d’un endroit fermé, et pousse le spectateur à l'impression d'"immersion" dans le quotidien de l'histoire, devenu voyeur face à la représentation.
On voudra alors reproduire des maisons entières sur scène, on inclura aussi des meubles qui donnent l’illusion du vrai. Ainsi, dans Jacques d'Amour d'Émile Zola, qu'Antoine met-en-scène en 1897 en présence de l'auteur lui-même, il présente aux spectateurs des quartiers de bœufs entiers et réels, et des acteurs jouant de dos, développant l'"Eloquence du Dos", concept visant à mettre en valeur la parole d'un acteur en "TQP" ou "TQS" (Trois-Quart Public ou Trois-Quart Scène). Révolutionnaire, le naturalisme reproduit minutioneusement la réalité de l'époque jusqu'à des prises d'otages dans les théâtres (Organisées par les metteurs en scènes...)
On ne peut pas, par contre, pousser le naturalisme plus loin car son objectif est la reproduction de la réalité sur scène, inclure des éléments expressionnistes reviendrait à détruire l’effet voulu. Le seul travail qui peut être poussé plus loin est celui du souci du détail dans l’ameublement ou les costumes.


Des naturalistes célèbres

Espaces rythmiques et vision d’ensemble

Le duo Edward Gordon Craig et Adolphe Appia vient mettre fin aux imitations de la réalité, en créant des espaces rythmiques adaptés au jeu de l’acteur et en voulant créer un ensemble harmonieux avec les différents éléments du spectacle. Ce qui marque une véritable révolution scénographique c’est l’acteur. Le comédien devient la priorité absolue, on tentera de créer des espaces qui pourront mettre son corps et son jeu en valeur. Ceci sera possible, entre autres, en faisant l’intégration de différents niveaux dans l’espace scénique et d’une approche plus symbolique de l’œuvre.


Scénographes près de Craig et Appia : Josef Svoboda , Théâtre politique Voir Bertolt Brecht, Réformateurs de l'espace scénique : André Antoine, Antonin Artaud, Bertolt Brecht

Ouvrages de référence sur l'histoire ou l'art de la scénographie

  • Adolphe Appia, L'œuvre d'art vivant.
  • Denis Bablet, Les révolutions scéniques du XX siècle, Paris, éd. Société internationale d’art, 1975.
  • Georges Banu, Yannis Kokkos, Le Scénographe et le héron, Le temps du théâtre /Actes Sud, 2004.
  • Edward Gordon Craig, De l'art du théâtre, Nrf, 1911.
  • Le Décor de théâtre dans le monde depuis 1960, collection de l’Institut international du théâtre, éd. Meddens, Bruxelles, 1973.
  • Nicola Sabbattini, Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre, 1638, reprint éd. Ides et calendes, Neuchâtel, 1942 et 1977.
  • Pierre Sonrel, Traité de scénographie, éd. Odette Lieutier, Paris, 1943.