Notes concernant mon approche de la lumière de spectacle.

(les liens renvoient directement aux pages photos du site)

Je n'ai pas une conception de la lumière, j’essaie d’utiliser la lumière pour ce qu’elle a à montrer, à dire, dans l’univers auquel elle participe. C’est en essayant à chaque spectacle de renouveler, de redécouvrir la lumière, que mon approche s’effectue et s’enrichit, au profit, je l’espère de ce sur quoi je porte mon regard.
Mettre en lumière, c’est montrer, faire entendre, c’est orienter la perception tout en proposant un univers esthétique particulier. Univers visuel qui est au service du sens.
Au travers des différentes collaborations, les approches de la lumière sont différentes et multiples, chacune est en fonction de chaque projet.
Voici quelques notes concernant des orientations propres aux spectacles marquants

• Dans Bérénice, la lumière est versifiée et suit de près l’architecture de Racine, elle souligne les moments dramaturgiques clefs, tout en créant et en modifiant l’espace visuel.
La palette de couleur est saturée, en opposition blanc glacé - orange enflammé; la progression des couleurs est d’abord temporelle, puis les couleurs s’opposent et se mélangent aux mêmes moments.
Du sépia de l’Orient de Bérénice, la couleur se compose lentement tout au long de la pièce, pour se mélanger et tendre vers le blanc dur du renoncement final. La présence de l’ombre et des ombres y est décisive.


• Avec Olivier Werner, sur Pélléas et Mélisande, j’ai essayé de trouver la lumière de l’ombre, la non-lumière. Pas de directions, pas d’entrées de lumière dans cet univers d’Almonde ténébreux. La lumière qui s'immisce et s’infiltre est humide et moisie, maladive. Des reflets sur de l’eau, de la mousse dans des sous-bois, la lumière qui filtre au travers de feuillages ont inspiré mes images. Images très dessinées, très typées, où la lumière va modifier jusqu’au grain de la peau.
L’écriture dynamique de la lumière de ce spectacle est aussi très importante, c’est elle qui crée le décor et les espaces (tout se joue sur un praticable de 4x4m), qui supporte le rythme des scènes.
Elle crée le contexte et modifie le rapport des corps des personnages à l’espace, modifie leur texture de peau et leurs présences.
La palette colorée était essentiellement verte et l’univers s’inspirait de Munch.


Les Revenants ont été travaillés à partir d’une idée de la lumière du Nord qu’on rapproche d’Ibsen. Le décor est une déclinaison d’une verrière d’un jardin d’hiver, en métal et tulles (dont un 4ème mur).
La pluie semble incessante et le jour ne se lève pas - lumière grise et terreuse. Écriture picturale (voir le peintre Hamershoi). La lumière est larmoyante et elle suit l’intérieur des humains, pas de naturalisme. Le soleil final blanc acide vient tuer et transcende l’espace.


Les Perses demandaient une autre stratégie, un autre enjeu : mise à part la lumière inhérente à l’espace proposé par la scénographie faite d’éléments mobiles, comment faire re-surgir le texte d’Eschyle aux yeux des spectateurs du XX° siècle.
D’autres projets, sur des pièces de théâtre dans de petits lieux, d’autres approches :
Pour Cartes postales... des lumières monochromes (lampes au sodium) ont été employées pour la particularité de leur nature de lumière.
• La simplicité extrême (3 lampes suspendues comme dans un germoir) pour éclairer les pièces de N. Sarraute; pas d'effets, ce sont les comédiens qui en se déplaçant font la conduite.
• La lumière du jour intégrée et mélangée à d’autres sources, comme dans Lettre à la mère d’après Baudelaire, donne une écriture scénique différente.
• Entièrement avec des découpes-poursuites (Roberto Zucco), la lumière montre et cerne l’action.
• Sans artifice, le travail sur La marquise d’O part d’une “nuit américaine” qui fixe le seuil minimum de perception visuelle. Tous les éléments éclairants sont à vue manipulés par la comédienne.
• Anonyme, la lumière sans appui, dramaturgique et uniquement dans le confort visuel trouve sa place (On ne parle jamais de Dieu à la maison, Anonyme obsession)
• Avec la chanteuse Tamia, le rapport intime de la voix chantée et de la lumière se cherche. La palette de couleur s’oriente et s’enflamme.
• En avril 2000, je crée les lumières de mon premier opéra : Iphigénie en Tauride, à l’Opéra de Bordeaux : une autre échelle de travail qui nécessite d’être extrêmement rigoureux et précis à l’avance. Gros travail d’anticipation et de préparation, d’écoute avec la partition pour trouver la musicalité des images. Mon intérêt pour la lumière en mouvement trouve de nouveaux moyens d’expression.


Tout cela me conduit à considérer la lumière au sens large et vaste et non pas à appliquer une esthétique fermée. Pour la collaboration avec le chorégraphe Pascal Montrouge, dans Pardon Mars ! j’ai porté mon attention à ne pas trahir le rapport du corps avec le sol. Les textures et les qualités de blancs étaient très travaillées, l’écriture dynamique ne suivait pas le silence comme au théâtre, mais l'énergie; la couleur venant rythmer les images. Dans Trans’Héroïka, un rapport intime de chaleur et de tendresse était la source de l’écriture, orientait le choix des axes et des couleurs.
La théorie d’Antoine est basée sur une chorégraphie exponentielle. La lumière consiste en un dispositif entièrement automatique qui cerne et crée l’espace, la lumière blanche se recompose dans le temps à partir de ses couleurs primaires.
Pour Exterieur, nous avons cherché une esthétique “mode” façon studio photo. Lumière métallique, glacée, blanche et verte, en opposition radicale avec le propos de bonne humeur de la pièce.
Mon début de collaboration avec des musiciens oriente l’écriture rythmique des images et du travail de la lumière. Montrer l’instrumentiste en proposant une image qui est en étroite corrélation avec ce qu’il joue...
Avec le pianiste Denis Levaillant, d’autres questions se posent, celles du rapport des espaces sonores et visuels. Harmonie, dissonances, ouvertures...Comment ne pas être illustratif, quelles modifications de l'écoute provoquent les images, les rythmes...
L’utilisation de la couleur est pour moi à la base de l’outil scénique lumière.

Parlons de l’outil : toute source émettant de la lumière; sa fonction : mettre en relation visuelle des observateurs et des actions dans un temps donné.
Mon intervention : choisir l’outil, sa fonction, (spatiale, temporelle)
Couleur, densité, qualité et direction sont liées.
La plupart des sources utilisées sur scène émettent un flux continu de lumière, la plupart du temps fixe dans espace.
Les moyens d’expression résident en un dosage de l’intensité électrique qui va modifier l’échauffement d’un filament, le comportement d’un arc électrique ou l’ouverture de persiennes ou de diaphragmes. Allumage et extinction sont les mouvements des composants d’une image.


•Dans La Capricciosa Corretta, il y a certes construction d’images, mais qui viennent d’abord d’une écriture quasi mélodique des variations lumineuses. La conduite lumière suit le parcours des solistes, parcours spatial et parcours dramaturgique confondus.
Ce dosage est un équilibre qui permet de construire une image, la plus souvent fixe. La gestion de la lumière dans le temps se traduit par le passage temporisé d’une image à une autre; une sorte de diaporama dont on contrôle le fondu. Les jeux d’orgues qui sont les systèmes de contrôle de ces éléments fonctionnent pratiquement tous sur ce mode.
Si le système gère les événements de cette manière, je les construis différemment : pour moi, la lumière est en mouvement, c’est un mouvement (de photons), une énergie, une vibration; une image est sans cesse mouvement (l’œil qui regarde se déplace même si ce qu'il regarde est fixe).

Lorsque j’écris la lumière dans le temps, je considère les images par leur succession comme un mouvement dont les rythmes, les accélérations, les arrêts sur images sont un tout. Le parcours de la lumière a une histoire qui vit avec le spectacle.
Vibrations, clignotements de sources sont d’autres moyens d’expression. On peut également faire se déplacer la lumière dans l’espace, soit en modifiant l’angle d’un miroir, d’une lyre ... soit en déplaçant la source de lumière dans l’espace (une bougie tenue à la main en marchant, le faisceau d’un projecteur asservi qui change d’impact, un projecteur sur patience qui translate).
Divers moyens pour une même cause, et toujours avec le souci du juste dosage.

La recherche de vibration et l’écriture temporelle se rencontrent une fois de plus avec la danse de Yan Raballand, où pour  Au devant de là, les vibrations de couleurs complémentaires (jaune-bleu) agissent comme un rythme rapide, alors que la conduite n’est que glissements progressifs imperceptibles.

Avec la lumière émise par un projecteur vidéo, l’approche du mouvement prend une toute autre dimension ; la qualité de lumière émise et sa palette de couleur sont assez particulières ; la trame de la vidéo, sa netteté jouent aussi. J’ai éclairé un duo uniquement avec un vidéoprojecteur placé en face diagonale et éclairant le sol , formant une zone d’image de 4m de base à la face et s’évasant dans la profondeur. Une partition de lignes et formes géométriques en mouvement, avec écriture des ralentis, ruptures rythmiques, ouvertures et fermetures, rétrécissements, balayages.

Un principe similaire mais cette fois dans la fumée pour créer des murs de lumière à été également utilisé avec Stéphanie Aubin.


• La création de L'échange de Claudel avec la Cie le Belvédère à été pour moi la première approche totale d'un travail simultané de lumière et de vidéo . La vidéo est utilisée ici en tant que lumière animée.



• Pour aller encore plus loin dans le travail de l'image et de la lumière, j'y adjoint la scénographie avec Agatha de M.Duras.



•Autre rencontre de la lumière et de ses interlocuteurs : dans le spectacle Neptune de la chorégraphe Marion Ballester, des musiciens (percussionistes), une diffusion de l'Ircam, de la vidéo, de la lumière, dialoguent avec la danse. Spectacle multicouche par excellence. Comment être juste, comment trouver le propre rythme de la lumière et équilibrer son rapport avec tous les ingrédients...