L’échange, Claudel, intrusion de l’image (notes avant réalisation)

L’utilisation de la vidéo sur ce spectacle vient d’une envie de détourner le vidéoprojecteur de son utilisation première de projecteur d’images pour en faire un projecteur de lumière et un projecteur d’interprétation ou de soutien dramaturgique du texte, du jeu, de l’espace.

Images et lumières projetées sont des interprétations et des structures spatiales choisies. C'est-à-dire qu’il s’agit ici d’une certaine vision des choses parmi d’autres possibles.

Le souci majeur est de laisser le maximum d’air. Ne pas figer le sens, ne pas hâter l’interprétation de celui qui va recevoir le texte donné par les comédiens.
L’image produite par la vidéo devient lisible comme telle à partir du moment où elle se projette sur une surface plane (les murs de la salle) et sinon, elle n’est perceptible que comme lumière animée.
D’une part, le travail est orienté sur le résultat produit par l’image visible, d’autre part, par le mouvement rendu possible par la lumière-vidéo.
L’espace peut ainsi être structuré, découpé, habité par une présence fantôme d’images et de lumière.
L’image prend une place folle. Dès que celle-ci devient identifiable, dès que le mouvement est perçu, notre œil y devient particulièrement attentif. En accord ou au détriment de ce qui se joue. Attention donc au rythme, aux apparitions et disparitions.
L’image vidéo projetée a cet intérêt de pouvoir également structurer le temps, et par sa présence, et par sa teneur.

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Matières. Nous utilisons pour ce spectacle des projections de matières filmées, photographiées ou créées de toute pièces. Elles sont destinées à produire des sensations et ne sont pas utilisées de manière figurative (ou seulement pour leur pouvoir onirique ou suggestif) ; la grande force de l’image est de pouvoir donner et détourner des codes dramaturgiques. En ce sens, elle devient un appui visuel, une façon de structurer l’espace perceptif du texte, une projection cérébrale.
Dans le texte de Claudel, quatre personnages, quatre points de vue du Monde. S’ajoutent par strates successives à ces points de vue, ceux de l’auteur, ceux du metteur en scène, ceux des acteurs, ceux de l’espace scénique, de la lumière et de l’image.
Pour ne pas saturer les sens, l’image se doit d’être discrète dans sa volonté de dire. Il n’y a pas non plus de place pour en faire un papier peint : le décoratif n’a pas de place dans cet l’univers Claudélien que nous voulons donner. Libre au spectateur de recevoir l’entité du spectacle et d’y puiser ressources à son propre imaginaire.
Souvent, la proposition d’une image fige l’imaginaire et prend place sur l’interprétation que l’on peut s’en faire. L’image se substitue en quelque sorte à notre propre interprétation – et ce n’est pas ce que nous souhaitons bloquer mais ce que nous tentons d’orienter.

Cette vision que propose la vidéo tente d’être la moins subjective possible et elle s’incorpore à la représentation de manière intime.
Ainsi, la vidéo essaye de trouver un chemin approprié, venant renforcer certains moments par sa présence ou par son absence, venant tantôt proposer un lointain, tantôt structurer l’espace, ou éclairer particulièrement le sens, le jeu, le texte.

Nicolas Simonin 16/09/03

 


L’échange – Claudel – processus vidéo (notes après réalisation)

Nous avons fait le pari d’un laboratoire, terrain d’expériences, où se sont rencontrées des techniques dont les mises en œuvres sont inédites.
L’espace même du lieu et la scénographie, peu conventionnels, faisaient partie de la particularité de ce projet. Une revisite audacieuse et inventive du texte et du jeu ont donné cette version hors pair de cet Echange de Claudel.
Le travail plastique de l’image est depuis longtemps la préoccupation majeure d’artistes et de plasticiens. Ici, nous détournons ou orientons l’image vidéo pour l’utiliser d’un point de vue autre que décoratif.
L’utilisation de la vidéoprojection dans ce spectacle est pensée en tant que lumière.
Bien évidemment, les projections ont comme point d’impact les murs de la salle - blancs - et les comédiens lorsqu’ils se trouvent dans le faisceau d’un des deux vidéoprojecteurs. On peut penser les choses en tant qu’images, mais il s’agit avant tout de lumière projetée.
Le processus dynamique de création était une principale préoccupation.
Tout comme la lumière - inhérente à l’espace et à la dramaturgie - la vidéo a été pensée en amont ; mais la concrétisation n’a eu lieu qu’au regard des répétions. Processus dangereux et luxueux dans la mesure où peu de personnes ont été là pour mettre en place ces éléments qui nécessitent technicité et peaufinage.
Cette démarche se veut accompagner le travail et non pas le devancer. Cela peut paraître dangereux dans la mesure ou le temps de mise en place des éléments et le temps de codage en vue de réaliser deux DVD est encore extrêmement long.
L’image sert de lumière d’espace, elle est traitée et travaillée avec la lumière scénique, en lui apportant une dimension supplémentaire et complémentaire.
Aboutie à posteriori des répétitions et des filages, elle accompagne et se place en réaction du jeu et des partis pris de mise en scène. Son dosage et sa présence dépendent ainsi de ce qu’il se passe sur le plateau, venant proposer un ailleurs, venant concentrer sur le jeu ou jouer avec lui.
D’abord faussement figurative, elle offre un lointain. Ses mouvements puis son traitement de couleur décalent un réalisme et en font un soutien dramaturgique.
Elle recadre l’espace et appuie des instants particuliers, oriente le sens et finit le premier acte (avec le son) dans une danse organique.
Volontairement absente pendant tout le deuxième acte, tout se concentre alors sur les comédiens et sur le texte. La lumière scénique est là à part entière. Jeu et texte deviennent les principaux attraits visuels.
A nouveau présente à l’acte trois, sous une autre forme, elle s’intègre à une perception cérébrale, sous forme de matières, de densités, sans jamais figurer ou illustrer. Elle sous-tend la scène de l’incendie tout en étant parfaitement décalée des codes représentatifs.
Ont été utilisés comme matières premières les sources suivantes :
- film virtuel de fumée
- photos de ciels (fixes)
- photos de lignes à haute tension
- photos d’arbres printaniers dont les feuilles ont été ôtées numériquement
- étoiles virtuelles en mouvement
- photos d’écorces
- photo de torchon
- film de mer
- film (St Louis’s Blues)
Il s’agit presque exclusivement d’images de nature ou d’éléments s’y incorporant.

 


Traitement des images :

La première scène est baignée de ciels animés.
Des photos de ciels fixes, retravaillées et recolorées sont ensuite mises en mouvement et donnent 12 minutes de film. Le rythme s’accélère, les images se figent suivant les moments. Un univers onirique de ciel couchant avec faisceaux de soleils virtuels vient appuyer la scène du baiser.
Le ciel se referme en une porte qui vient cadrer l’arrivée de Pollock et de Letchy.
Puis un ciel orageux et violine vient sous-tendre la scène Marthe – Pollock.
Les nuages s’inclinent et se soulèvent violemment pour le monologue de Letchy sur le théâtre.
Apparaissent des lignes à haute tension, trace d’une installation technique de l’humain et figure de notre civilisation industrielle. Ces images s’inversent et passent en négatif pour la scène Louis – Pollock.
Au « retour des Ladys » apparaissent des impressions de branchages en mouvement, qui s’inversent et se diluent à la fin de l’acte. Un flouté horizontal vient perturber un temps la lisibilité et trouble l’espace. Puis les branches se colorent et se détachent les unes des autres en dansant et accompagnent le paso doble final. Un effet décline la boule tango par l’utilisation d’étoiles virtuelles en mouvement et vient clôturer le premier acte.

Un travail étroit entre les logiciels adobe photoshop et adobe after effects a permi ces traitements. L’intérêt de ce deuxième logiciel réside en sa faculté de traiter des ralentis et des accélérations de mouvement très fins. Mis à part le temps de calcul encore un peu long de celui-ci, les films en résultant sont de qualité irréprochables. Les seules limites qu’il impose sont le temps et l’imagination.

Pourquoi ne pas avoir directement filmé des ciels en mouvement plutôt que d’utiliser des photos fixes ? Pour pouvoir en contrôler précisément le mouvement et les développements de nuages d’une part, et parce que la photo numérique haute résolution dépasse la qualité d’une image filmée avec une caméra DV. On peut ainsi zoomer dans une photo pour n’utiliser qu’un nuage ou qu’une partie de ciel. Le « grain » ainsi produit diffère d’une pixellisation lors d’un agrandissement d’un film.

L’acte trois, est presque exclusivement composé d’images d’écorces retravaillées. Elles sont mises en mouvements lents par des déformations légères, des panoramiques et des superpositions. S’ajoutent à elles des images de textile recolorées (l’incendie) et animées par des translations et des filtres complexes.
La mer apparaissant dans une bande verticale est réalisée à partir de films réels retraités, les vagues sont choisies une à une et construites en des successions de boucles asynchrones.
Le film Saint Louis’ Blues est quadruplé, il subit un virage sépia et un remappage temporel. Il apparaît dans des bulles floues qui se déplacent, apparaissent et disparaissent.

Tous les moments d’images deviennent ainsi des films (format AVI) dont la durée est comprise entre 1 et 12 minutes. Chaque petit film est ensuite monté pour faire un film unique d’environ 50 minutes. Sur un des deux DVD, nous avons ajouté deux moments de musique pour que la synchronisation des images et du son soit correcte.

La diffusion de l’image :

La gravure d’un premier DVD test permet de vérifier l’accès aux plages, de tester le comportement des lecteurs DVD et de caler des « mires », caches qui servent de repères spatiaux pour la construction des films et le placement des images dans l’espace.

Ensuite, les images issues de l’ordinateur sont montées et gravées sur un DVD qui sert de source de diffusion à un vidéoprojecteur, le deuxième vidéoprojecteur diffusant directement les images en sortie d’ordinateur via le logiciel adobe première.

L’idée première était de diffuser les images d’un seul DVD sur deux vidéoprojecteurs via une table de mixage. Celle-ci permettant de figer les images, il devient alors possible de caler le DVD sur une autre plage et de faire des fondus pour pouvoir suivre le déroulement de la représentation. En effet, la durée des scènes varie légèrement d’un soir à l’autre, et il faut pouvoir garder une synchronisation du déroulement des films avec le jeu.
A ce DVD principal devait s’ajouter un second DVD pour les moments où nous aurions besoin d’images différentes sur les deux vidéoprojecteurs.
Faute de pouvoir travailler avec cette table de mixage, nous avons dû réaliser deux DVD parfaitement synchrones, en ménageant dans les films des ralentis et des images fixes nous permettant de faire des pauses. Les films, toujours plus courts que les scènes jouées peuvent ainsi être mis en lecture aux moments adéquats.
La synchronisation des plages des deux DVD implique une indexation très précise (à l’image près) des films. Pour ne pas avoir à recaler tous les index des chapitres des films au moment du montage, le logiciel vegas vidéo de sonic foundry a été utilisé. Il permet le montage et la rectification des durées des films, leur chapitrage et le codage au format mpeg2.
Ensuite sont gravés les deux DVD avec le logiciel DVD architect.
L’organisation des index permet un affichage du temps précis sur les lecteurs. Le décompte et le passage à zéro de l’affichage indique qu’il faut faire « pause ». La régie consiste donc à une succession de « play » et de « pauses ».
Certains logiciels d’authoring de DVD permettent de créer des boucles et des sauts interactifs entre les chapitres. Nous étudions leur fonctionnement pour optimiser encore la régie et permettre un déroulement continu des films en mouvement.